La littérature actuelle aborde les défis liés à la gestion des connaissances dans les systèmes complexes de manière limitée, soulignant la nécessité de recherches supplémentaires pour développer des solutions adaptées (Hitzler, Krötzsch et Rudolph, 2010).
Notre analyse critique met en lumière une inadéquation des modèles existants face aux besoins spécifiques des systèmes complexes. Les rigidités, les coûts élevés et les lacunes en matière de sécurité et d’interopérabilité appellent au développement d’approches innovantes.
Ces approches doivent allier flexibilité, robustesse et capacité d’intégration pour relever les défis de la gestion des connaissances dans les industries stratégiques.
La gestion des données non structurées constitue un défi majeur dans les systèmes complexes.
En effet, les systèmes d'information traditionnels, basés sur des bases de données relationnelles comme PostgreSQL, sont limités lorsqu'il s'agit de capturer, stocker et exploiter des données non structurées issues de diverses sources (Gruber, 1993). Ces données, souvent tacites, sont difficiles à transformer en connaissances explicites partageables, comme l'exige le modèle de gestion des connaissances de Nonaka et Takeuchi (1995).
Dans les environnements de défense, les données proviennent de multiples sources hétérogènes, telles que les capteurs, les rapports d'opérations, les communications entre unités, etc. La diversité et le volume de ces données rendent leur gestion complexe, entraînant des inefficacités opérationnelles et une perte potentielle de connaissances critiques. Or, l’utilisation des ontologies comme solution technique adaptée pourrait être la méthodologie à privilégier pour transformer les systèmes complexes. Sur ce point, l’analyse de la littérature révèle des lacunes théoriques significatives, particulièrement dans le développement de méthodologies, ou de nouvelles approches comme l’ontologie.
Une première limite réside dans l’absence de méthodologies standardisées pour le développement d’ontologies à grande échelle. Bien que leur importance soit largement reconnue pour structurer et connecter les connaissances, les approches existantes manquent de formalisation, surtout dans des environnements aussi complexes que la défense (Elaasar et al., 2023 ; Fürst, 2002 ; Jabla et al., 2021 ; Willard et al., 2020). En outre, le manque de solutions pratiques pour l’interopérabilité des systèmes hétérogènes freine leur mise en œuvre efficace.
Les travaux existants offrent peu de réponses concrètes pour connecter des systèmes divers tout en garantissant les performances et la sécurité nécessaires (Amrani et al., 2020 ; Clark et Jones, 1999 ; Tibaldi et al., 2021).
En somme, la littérature actuelle souligne des lacunes dans la conceptualisation et l’application des approches de gestion des connaissances dans les écosystèmes complexes.
Pour surmonter les limitations des bases de données relationnelles, il faut retenir la piste de l'utilisation de bases de données à base ontologique (BDBO). Les ontologies permettent de représenter de manière explicite les relations entre des concepts, offrant ainsi une compréhension plus fine et une meilleure interopérabilité entre les systèmes (Uschold et Grüninger, 1996). Contrairement aux bases de données relationnelles, les BDBO offrent une flexibilité pour étendre le modèle sans nécessiter de restructuration majeure.
Par exemple, dans un écosystème de défense, des termes comme "drone", "véhicule aérien" ou "système d'arme" peuvent avoir des relations complexes. Une ontologie permet de capturer ces relations (par exemple, un "drone" est une sous-classe de "véhicule aérien"), facilitant la compréhension et l'exploitation automatiques des informations. Ainsi les ontologies s’imposent comme un outil clé qui permet de structurer des données hétérogènes en organisant les relations entre concepts clés, ce qui favorise leur exploitation et leur partage.
Un problème majeur dans les écosystèmes de défense est la création de silos d’information, où des données critiques restent inaccessibles à certaines équipes en raison de formats incompatibles ou d’un manque de visibilité. Les ontologies peuvent briser ces silos en standardisant les informations et en les rendant accessibles à tous les acteurs – qu’ils soient managers, techniciens, opérationnels ou partenaires industriels. Tout cela s’effectue dans le respect des impératifs de sécurité, de confidentialité et de gestion du besoin d’en connaître. L’évolutivité et la flexibilité des systèmes d’information constituent un autre défi central. Les programmes d’armement évoluent avec l’intégration de nouvelles technologies, doctrines et missions.
Contrairement aux structures rigides, les ontologies s’adaptent à ces évolutions sans nécessiter de restructurations majeures. Elles permettent d’intégrer facilement de nouveaux concepts ou relations, assurant ainsi la pertinence et la résilience des systèmes d’information face aux exigences futures. La précision dans la prise de décision est également un point important. En organisant les informations de manière sémantiquement cohérente, les ontologies améliorent la qualité et l’accès aux données. Cela permet aux décideurs, qu’ils soient managers, ingénieurs ou opérationnels, d’obtenir des réponses précises à des questions stratégiques, comme l’historique des solutions apportées à un problème donné ou l’identification des équipements concernés. Cependant, malgré ces opportunités, la littérature actuelle met en évidence des lacunes notables.
Les méthodologies pour concevoir des ontologies interopérables, intégrer des systèmes hybrides ou encore évaluer économiquement l’impact des nouvelles technologies dans des contextes aussi complexes que la défense, demeurent limitées.
De même que leur mise en œuvre dans un contexte industriel le reste tout autant. Les outils existants, tels que Protégé ou Ontolingua, proviennent majoritairement de laboratoires académiques et ne sont pas toujours adaptés aux besoins industriels (Chaumier, 2007). De plus, le manque de standardisation et de simplicité d'usage freine leur adoption à grande échelle (Balmisse, 2002). Enfin, comme le souligne Pietyra et al. (2023), la nécessité d’adapter rapidement les capacités militaires dans un monde VUCA (volatile, incertain, complexe et ambigu) renforce les pressions sur les cycles de développement pour répondre aux menaces émergentes.
Pour relever ces défis, une approche holistique est indispensable, combinant innovation technologique, gestion des connaissances et efficacité organisationnelle.
Comme le suggère Maniglier (2018), il estessentiel d’intégrer des solutions techniques avancées tout en prenant en compte les dimensions humaines et organisationnelles.
Le manque d’interopérabilité entre systèmes hétérogènes freine la modélisation des écosystèmes interconnectés, entraînant une fragmentation des connaissances. De même que la fragmentation des connaissances est un obstacle majeur dans les écosystèmes de défense dont les données et les informations sont souvent dispersées entre différents systèmes, bases de données et organisations, créant des silos qui entravent la circulation fluide des informations (Siegler, Biazzin et Fernandes, 2014).
Cette fragmentation complique l'accès en temps réel à des données exploitables, réduisant ainsi l'efficacité opérationnelle. L'interopérabilité des systèmes est, dès lors, essentielle pour surmonter cette fragmentation.
La théorie de l'interopérabilité des systèmes (Clark et Jones, 1999) souligne l'importance de systèmes ouverts capables d'échanger des informations de manière fluide. Cependant, les systèmes de défense sont souvent caractérisés par des protocoles de sécurité stricts et des infrastructures hétérogènes, rendant l'interopérabilité difficile à réaliser.
Les ontologies partagées offrent une solution pour améliorer l'interopérabilité en fournissant un cadre commun pour la représentation des connaissances (Gruber, 1993). En établissant des relations explicites entre les concepts, les ontologies permettent aux systèmes hétérogènes de comprendre et d'échanger des informations de manière cohérente. Par exemple, l'utilisation d'une ontologie partagée pour décrire les équipements, les procédures et les opérations peut faciliter la coordination entre différentes unités et systèmes. Cela permet également de réduire les ambiguïtés et les incohérences dans la communication.
Cependant, la création et la maintenance d'ontologies partagées dans des environnements complexes comme la défense présentent des défis. Pour lever ce verrou, il faut concevoir une ontologie partagée qui permet de structurer ces données en créant une taxonomie commune. En associant des normes sectorielles à l’ontologie, il est possible de rendre les systèmes d’information interopérables. Cela nécessite une collaboration entre les différents acteurs pour standardiser les formats et le vocabulaire utilisé.
La neutralisation de ce verrou repose sur la théorie de la gestion des connaissances (Nonaka & Takeuchi, 1995) qui postule que le savoir explicite (ici structuré via une ontologie) est plus facile à partager et à capitaliser que le savoir tacite.
Comme la littérature actuelle le souligne, il y a un manque de modèles méthodologiques adaptés qui indique un besoin de recherches supplémentaires dans ce domaine.
L'intelligence artificielle peut contribuer à résoudre la fragmentation des connaissances en automatisant la gestion et la mise à jour des ontologies. Les algorithmes d'IA peuvent analyser les données pour identifier de nouveaux concepts et relations, facilitant ainsi l'évolution dynamique des ontologies (Moukarzel, 2019). De plus, l'IA peut améliorer l'interopérabilité en permettant une traduction automatique entre différents formats de données et en facilitant l'intégration de systèmes hétérogènes. Par exemple, des agents intelligents peuvent agir comme intermédiaires entre les systèmes, interprétant et traduisant les informations pour assurer une communication fluide. Cependant, l'application de l'IA dans ce contexte soulève des questions concernant la sécurité, la fiabilité et la confiance.
Les systèmes d'IA doivent être conçus pour opérer dans des environnements sécurisés, respecterles protocoles de confidentialité et fournir des résultats fiables. La littérature actuelle offre peu de solutions concrètes mais ouvre la réflexion sur l’intégration de l’intelligence artificielle hybride, combinant ingénierie des connaissances et systèmes multi-agents. Cet axe est encore émergent dans la gestion des connaissances opérationnelles et nécessite davantage de recherches (Moukarzel, 2019). Pour la construction du modèle Armtek, une IA hybride pourrait permettre de transformer des connaissances diffuses et tacites en processus opérationnels optimisés.
Il s’agit de l'acquisition et de la consolidation des connaissances, puis de leur distribution efficace au sein de l'organisation. La littérature nous rappelle que l'IA joue un rôle central en simplifiant la complexité inhérente à ces processus et les systèmes d'IA hybrides, combinant l'ingénierie des connaissances et les systèmes multi-agents, offrent une approche prometteuse pour gérer la complexité des écosystèmes de défense. En définitive, l'ingénierie des connaissances permet de modéliser les savoirs experts sous forme de règles et d'ontologies, tandis que les systèmes multi-agents (SMA) offrent une capacité d'adaptation et de coordination entre agents autonomes (Chaib- draa, Jarras et Moulin, 2001).
En combinant ces deux approches, l'IA hybride peut structurer les connaissances de manière granulaire tout en assurant une communication fluide entre les différents systèmes et acteurs. Chaque agent autonome peut prendre des décisions localement, mais grâce à l'ingénierie des connaissances, ces décisions sont alignées avec les objectifs globaux et les contraintes spécifiques de l'organisation.
La complexité opérationnelle maîtrisée améliore la réactivité et optimise la prise de décision, ce qui est essentiel dans des environnements où chaque décision peut avoir des conséquences majeures.La maîtrise de la complexité réside également dans la capacité à fournir des réponses granulaires, c'est-à-dire des informations détaillées et spécifiques adaptées aux besoins des utilisateurs finaux (Dahlström et Edelman, 2013).
Dans les écosystèmes de défense, la précision et la pertinence des informations sont cruciales pour la prise de décision opérationnelle. L'IA permet d'analyser de vastes ensembles de données pour extraire des informations contextuelles spécifiques, tandis que les algorithmes de traitement du langage naturel (NLP) et d'apprentissage automatique peuvent générer des réponses précises en temps réel, en tenant compte des évolutions des situations opérationnelles. D’ailleurs, des recherches supplémentaires sont à mener sur la stabilité et la pertinences des informations fournies compte tenu de la conception plutôt distribuée du système.
La littérature n’a en effet pas encore étudié les mécanismes permettant la redondance de fonctionnalités entre les agents pour permettre à des agents de prendre la place de ceux qui disparaissent à cause d’une défaillance, une erreur ou une attaque.
L'expérience utilisateur (UX) est un facteur clé pour l'adoption et l'efficacité des technologies dans les systèmes complexes. Selon la théorie des systèmes socio-techniques (Emery et Trist, 1960), la performance optimale est atteinte lorsque les systèmes techniques sont conçus en harmonie avec les besoins et les comportements des utilisateurs.
L'implication desutilisateurs finaux dans la conception et le développement des systèmes est essentielle pour assurer leur adoptabilité et leur efficacité opérationnelle. Les retours d'expérience des opérateurs peuvent améliorer les processus, réduire les erreurs et augmenter la satisfaction au travail (Dionne-Proulx et al., 1999). Cependant, la littérature indique que l'intégration de l'IA peut susciter des résistances et créer des silos organisationnels (Anayat, 2023). Il est donc crucial de favoriser une culture de collaboration, de communication ouverte et de participation active des utilisateurs pour réussir l'intégration de nouvelles technologies.
Par ailleurs, la littérature accorde une attention limitée à l’expérience utilisateur dans les environnements de défense. Alors que l’UX est cruciale pour l’adoption et l’efficacité opérationnelle des technologies, cette dimension reste sous-explorée dans les études académiques (Norman, 2002 ; Sood et al., 2020). En parallèle, les modèles économiques traditionnels peinent à répondre aux spécificités des écosystèmes complexes, où les coûts liés à la sécurité, à la résilience et à la gestion collaborative des connaissances sont particulièrement élevés (Chen et al., 2021).
Une autre lacune importante réside dans l’insuffisance de cadres pour la collaboration entre humains et IA. Les interactions entre opérateurs humains et systèmes d’IA, notamment pour le partage des connaissances et la prise de décision conjointe, restent peu explorées, alors qu’elles sont essentielles pour optimiser l’efficacité opérationnelle (Alcaraz et López, 2020 ; Jarrahi, 2018). Ce manque de cadres est également visible dans les outils d’analyse prédictive, qui restent rarement appliqués à la gestion des compétences dans les écosystèmes de défense, malgré leur potentiel pour anticiper les besoins en ressources humaines et améliorer la planification stratégique (Farooq, 2023).
Enfin, les défis liés à la sécurité et à la confidentialité des données dans les systèmes d’IA distribués sont encore insuffisamment adressés. Les vulnérabilités des architectures interconnectées freinent l’optimisation des performances et augmentent les risques de compromission des données sensibles (Liu et al., 2023).
Ces problématiques de sécurité constituent un obstacle majeur, notamment dans des environnements où la protection des informations est critique pour garantir la souveraineté nationale.
La maîtrise des coûts est un défi transversal dans la conception et l'intégration de systèmes de gestion des connaissances dans les systèmes complexes. Les approches traditionnelles d'évaluation des coûts, telles que le Full Costing ou le Marginal Costing, ne prennent pas pleinement en compte les spécificités de ces environnements, notamment les coûts indirects liés à la complexité, à la sécurité et à l'innovation. L'ingénierie des systèmes dans les écosystèmes de défense est par exemple mise à l'épreuve par les exigences croissantes en matière de sécurité et de confidentialité. La conception de systèmes interconnectés doit assurer la protection des informations sensibles tout en permettant une gestion efficace des connaissances.
Les systèmes doivent être flexibles pour intégrer de nouvelles technologies et s'adapter aux évolutions rapides du contexte opérationnel, tout en maintenant des standards élevés de sécurité (Chesbrough et Prencipe, 2008). Les défis incluent la conception des systèmes capables de gérer des interactions complexes entre différents sous-systèmes, la protection des données sensibles contre les cybermenaces tout en permettant un accès contrôlé aux informations tout en assurant une communication fluide entre systèmes hétérogènes, souvent développés par différentes organisations. La littérature souligne le besoin d'approches multidisciplinaires, combinant l'ingénierie des systèmes, l'IA et la gestion des connaissances pour relever ces défis.
La sécurisation porte également sur les compétences et les qualifications des utilisateurs au sens large. La perte de savoir-faire due au départ de personnels expérimentés peut avoir des conséquences significatives sur l'efficacité opérationnelle mais également en termes de coûts. L'analyse prédictive, soutenue par l'IA, peut aider à cartographier les compétences au sein de l'organisation, anticiper les besoins en formation et identifier les risques liés à la rotation du personnel (Farooq, 2023). En combinant ces analyses avec des stratégies de gestion des connaissances, les organisations peuvent d’une part préserver le savoir-faire, planifier la relève et améliorer la fidélisation. Car c’est bien en capturant les connaissances tacites des experts et en les transformant en connaissances explicites ou en identifiant les besoins futurs en compétences et en préparant les employés à assumer de nouveaux rôles ou encore en proposant des parcours de carrière adaptés et en valorisant les contributions individuelles, que la gestion des compétences sera sécurisée et efficiente.
Cependant, l'intégration de l'IA dans la gestion des compétences soulève des questions éthiques et pratiques, notamment en matière de confidentialité des données personnelles et de biais potentiels dans les algorithmes. La littérature appelle à une gouvernance responsable de l'IA pour s'assurer que ces technologies sont utilisées de manière équitable et transparente. Enfin, l'intégration de l'IA et des ontologies dans la gestion des connaissances offre des opportunités pour optimiser les coûts.
En automatisant des processus manuels, en améliorant l'efficacité opérationnelle et en réduisant les inefficacités liées à la fragmentation des systèmes, les organisations peuvent réaliser des économies significatives. Par exemple, l'utilisation de l'IA pour la maintenance prédictive des équipements peut réduire les coûts de réparation et prolonger la durée de vie des actifs (Jardine, Lin et Banjevic, 2006). De même, la rationalisation des processus métiers grâce à l'IA peut diminuer les coûts opérationnels en optimisant l'allocation des ressources et en accélérant la prise de décision.
Cependant, ces bénéfices doivent être mis en balance avec les coûts initiaux d'investissement dans les technologies de l'IA, les infrastructures sécurisées et la formation du personnel. Une analyse coûts-avantages approfondie est nécessaire pour s'assurer que les investissements conduisent à un retour sur investissement positif.
La littérature actuelle souligne le manque de modèles économiques adaptés pour évaluer précisément les impacts financiers de l'intégration de l'IA dans les écosystèmes de défense, indiquant un besoin de recherches supplémentaires dans ce domaine.